Alicia Kazobinka

Conférencière, activiste et militante pour la communauté trans

« J’ai réalisé que, pour la première fois, personne ne m’imposait le rasage, que j’avais le choix. Je souhaite en faire une expérience positive. »

Alicia Kazobinka est une des rares femmes trans noires au Québec. Conférencière, activiste et militante pour la communauté trans, elle travaille à faire tomber les barrières et à combattre les préjugés. Très connue au sein de la communauté LGBTQ+, elle s’est fait découvrir du public en faisant la une du magazine Véro, en septembre 2020, parmi onze femmes influentes de la communauté noire.

Avec son allure flamboyante et son sourire contagieux, Alicia Kazobinka ne passe pas inaperçue et elle s’assume aujourd’hui pleinement. Sa longue chevelure, qu’elle porte souvent tressée, ses boucles d’oreille clinquantes et ses talons parfois vertigineux font partie de ce qu’elle est, de son identité féminine qu’elle a dû dissimuler pendant de trop nombreuses années.

Se raser les cheveux pour Leucan ? Elle a d’abord refusé. C’était trop lui demander, a-t-elle pensé, après toutes les souffrances vécues avant de pouvoir enfin s’affirmer comme femme. « Durant mon enfance et mon adolescence, je vivais une dysphorie de genre, sans comprendre vraiment, sans pouvoir mettre le mot dessus dans un langage aussi poussé », raconte-t-elle. Née au Burundi, elle a grandi au Sénégal où l’on ne parle pas de ces choses-là.

Elle portait en elle un mal-être toujours présent, qui s’amplifiait, une fois par mois, lorsqu’on l’obligeait à prendre place sur la chaise du barbier. « Quand j’étais garçon, je n’aimais pas me faire raser les cheveux. En Afrique et dans la communauté noire, les garçons devaient toujours porter les cheveux courts, c’était un signe de propreté. Chaque fois, j’avais un blocage. Ça me faisait tellement de peine et je ne comprenais pas pourquoi. On m’obligeait et on me disait : ne reviens pas à la maison avant d’avoir les cheveux rasés. Je ne pouvais pas me réfugier ailleurs, alors je le faisais. Sur le chemin du retour, je pleurais. »

Enfin son choix

Arrivée au Québec en 2007, elle a mis quelques années avant de trouver ses repères, de rencontrer des personnes trans issues de la communauté noire. Elle a finalement amorcé sa transition en 2016. « Au début de ma transition, quand je suis devenue plus à l’aise, j’ai commencé à porter des extensions en tout temps, à tresser mes cheveux. C’était super important pour moi d’avoir les cheveux longs, de faire mes ongles et mes sourcils, de commencer à changer peu à peu ma garde-robe. »

Son affirmation identitaire comme femme trans est assez récente. En se joignant aux Audacieuses, elle craignait donc d’être replongée dans ses souffrances passées, d’en être fragilisée. La dernière fois qu’elle a rasé ses cheveux, c’était il y a 8 ans. Par pression de son entourage, une fois de plus.

« J’ai pris le temps de réfléchir à la proposition. La cause de Leucan me tient à cœur. J’adore les enfants et le cancer est une maladie qui peut atteindre n’importe qui. » Elle a décidé d’oser. « J’ai réalisé que, pour la première fois, personne ne m’imposait le rasage, que j’avais le choix. Je souhaite en faire une expérience positive. »

Alicia Kazobinka se dit très honorée de compter parmi des femmes inspirantes de divers horizons. « J’étais étonnée et surprise qu’on m’aborde pour faire partie des Audacieuses. J’étais estomaquée de voir le profil des autres femmes. Ce sont des personnes qui ont des expériences, un bagage et un savoir impressionnants. C’est un honneur d’être à leurs côtés. »

Un grand stress

À quelques jours du défi, elle sait qu’elle commencera à stresser. « Me connaissant, je vais essayer d’être positive, sans me mentir à moi-même. Mais je pense que la veille, je serai incapable de dormir ! », dit-elle, en riant. On lui a proposé de lui offrir une tondeuse ou d’avoir accès aux services d’un coiffeur. « Clairement, ne me donnez pas une tondeuse ! Je n’y arriverai pas moi-même, je vais assurément avoir un blocage. Si quelqu’un de compétent me rase, j’aurai au moins un petit peu l’air cute ! » Son amie et sa cousine, fébriles, lui ont promis de venir la voir sans tarder.

Lors de ses obligations professionnelles, elle portera assurément une perruque. Et dans son quotidien ? « Je ne sais pas encore, je pense que je vais rester tête nue. Mais honnêtement, j’attends de voir l’image que me renverra le miroir avant de me décider. Je n’ai eu aucune opération au visage, mes traits masculins sont prédominants. Je ne sais pas à quoi m’attendre. »

Elle sait néanmoins que les regards vers elle seront encore plus insistants. « Je suis habituée, mais des fois, je trouve ça too much, c’est très intense. Si le regard des gens pouvait tuer, il y a longtemps que je serais morte ! Là, ce sera encore pire. Si j’étais toute petite, ça passerait peut-être mieux. Marie-Mai, j’adore, je trouve ça super beau. Mais ça ne va pas à toutes d’avoir les cheveux courts. On verra. »

En posant ce geste fort, elle souhaite toucher les gens et les sensibiliser à la cause de Leucan. Elle souhaite inspirer aussi, comme elle sait si bien le faire. « Pour les femmes dans la communauté noire et les femmes trans, les cheveux sont très importants. Il faut avoir les cheveux longs, c’est un signe de féminité. Si Alicia, avec son parcours difficile, ose le faire, tout le monde le peut. Si je peux inspirer ne serait-ce qu’une personne ou deux à poser le même geste, pourquoi pas ! »

Photographe, Andréanne Gauthier; stylisme, Simon Venne (Judy Inc.); mise en beauté, Alper Sisters (Teamm Agency)